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l’éducation anglaise

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Instruire n’est pas élever. — Entre « l’instruction qui donne des connaissances, pourvoit l’esprit et fait des savants, et l’éducation qui développe les facultés, élève l’âme et fait des hommes[1] » il y a une différence profonde. Cela pourrait passer pour une vérité de M. de la Palice si de nos jours, en France, une déplorable confusion ne s’était établie entre ces deux notions ; on a pu le dire hier, on peut encore mieux le répéter aujourd’hui : « L’instruction est tout, l’éducation, rien ».

Or la fin suprême des maîtres anglais, c’est de faire des hommes et de les amener ensuite à s’instruire eux-mêmes ; du caractère et une bonne méthode, voilà leur but. Toutefois, il serait erroné de croire que ce principe les amène à négliger le travail ; mais l’extrême différence qu’ils reconnaissent entre l’instruction et l’éducation fait que l’une est séparée de l’autre, qu’elles ne marchent pas ensemble, qu’elles ne sont surtout pas également réparties sur les diverses périodes de la vie. Sans doute dès la plus tendre enfance les petits Anglais s’adonnent aux charmes du plein air ; leur audace est proverbiale : qui n’a lu le charmant tableau dans lequel M. Taine a représenté un bambin monté sur son poney qui, passant dans une prairie près d’un taureau à l’œil méchant, crie à ses grandes sœurs dont il escorte la cavalcade : « Holà ! jeunes filles ! n’ayez pas peur et mettez-vous derrière moi. » Autant que possible on les élève à la campagne et en tous cas on encourage leur goût naturel pour les exercices physiques. Mais entre 8 et 12 ans, ils travaillent beaucoup. J’ai fait remarquer ailleurs[2] combien les examens d’entrée des public schools étaient sérieux (l’âge est ordinairement 12 ou 13 ans) et d’autre part si l’on rapproche ces programmes de ceux qui sont présentés 6 ou 7 ans plus tard aux candidats universitaires, on est frappé du peu de choses que les élèves sont censés avoir appris dans cet intervalle. C’est qu’à une première période d’instruction pendant laquelle il fallait profiter de l’esprit ouvert et reposé de l’enfant pour lui inculquer les notions fondamentales de tout savoir, aussi bien que pour lui donner l’habitude du travail, a succédé une période d’éducation bien autrement importante, celle-là, parce qu’elle est décisive, que son résultat sera définitif, parce que surtout elle renferme cette crise que nous appelons l’âge ingrat, mais dont nous

  1. Mgr Dupanloup.
  2. V. la Réforme sociale du 1er novembre 1886.