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gage, la similitude de la religion et les liens du sang exerceraient sur les relations des deux peuples une heureusement et complète influence » ; d’autant que si les Américains ressentent à l’égard de l’Angleterre un reste de rancune, rien ne les sépare de leurs cousins d’Australie ou d’Afrique. Quand un premier ministre australien s’est écrié en s’adressant à eux : « nous aurons soin, vous et nous, de faire du Pacifique un lac anglo-saxon », il a répondu aux secrètes pensées de bien des Américains.

L’influence des États-Unis sur les affaires des républiques espagnoles et de l’empire britannique s’est préparée de longue date et nous la verrons s’accentuer de plus en plus.

Dans cet ordre d’idées, l’existence de traditions certaines, de sentiments précis ne suffit pas à déterminer un courant d’action ; il faut encore que l’individu s’y prête, qu’il ait les qualités et les défauts requis pour mettre en pratique le rêve national, pour travailler à en faire une réalité. C’est ici, précisément, que l’histoire des États-Unis est tout à fait intéressante et qu’il devient très utile de la connaître. Elle montre que les événements successifs dont l’Amérique a été le théâtre depuis deux cent cinquante ans ont formé l’Américain en fonction — si l’on peut ainsi parler — de l’œuvre qu’il désire accomplir, dans laquelle son succès est incertain, mais qu’il tentera assurément. Je m’explique. L’Amérique a donné à l’Américain une endurance incroyable, le sens de l’activité poussé à un degré inconnu jusqu’ici, l’isolement d’avec ses semblables et l’habitude d’envisager toujours le point de vue collectif de préférence à tout autre. En deux cent cinquante ans, il a traversé : les rigueurs de l’époque coloniale, cent années de guerre incessante contre les Indiens, les Français et les Anglais, quatre années d’une effroyable guerre civile, des bouleversements économiques et financiers sans nombre et des tremblements de terre politiques et sociaux dont la série n’est certainement pas close. Voilà pour l’endurance. Quant à l’activité, jamais champ plus vaste ne s’ouvrit devant des humains. Un sol immense et fertile à défricher, de grandes facilités industrielles et deux façades commerciales ouvrant sur les deux côtés de l’univers, avec au centre un réseau sans pareil de voies fluviales. Et sur tout ce sol, un seul peuple, sans voisins, sans rivaux ; dans ce peuple sont entrés des éléments hétérogènes en grand nombre ; mais, d’une part, ils se sont assimilés très rapidement, et de l’autre, le noyau primordial est demeuré sinon intact, du moins prédominant. Voilà cer-