Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/116

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ou les phénomènes généraux du monde extérieur ? D’un autre côté, si un tel consensus doit nécessairement s’établir en définitive, n’est-il pas manifeste que c’est par suite de l’influence des causes extérieures sur la génération des idées, et non par l’influence de nos idées sur la constitution du monde extérieur ? De telle sorte que ces étranges systèmes de métaphysique, qui consistent à faire sortir le monde extérieur, ou tout au moins à faire sortir l’ordre qu’on y observe, de l’ordre même de nos idées, ne sont, à le bien prendre, que l’extrême exagération de l’erreur où l’on tombe dans les applications abusives de l’un ou de l’autre des deux principes de solidarité et de finalité (65 et 66), lorsqu’au lieu de concevoir que les faits particuliers se sont ajustés ou ont été ajustés aux faits généraux et dominants, on imagine, au contraire, un ajustement des faits généraux et dominants en vue ou par l’influence des faits particuliers et subordonnés.

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Il en est de l’harmonie entre la constitution intellectuelle d’un être intelligent et la constitution du monde extérieur, comme de toutes les autres harmonies de la nature : on peut supposer qu’elle n’excède point le pouvoir inhérent aux influences et aux réactions d’un système sur l’autre, comme aussi l’on peut croire qu’elle serait inexplicable sans un concert préétabli ; et enfin la troisième explication, par l’épuisement des combinaisons fortuites, s’offre, ici comme ailleurs, à titre au moins d’argutie scolastique. Mais, de quelque manière que l’on conçoive la raison d’une telle harmonie, il est évident qu’elle n’a lieu nécessairement que tout autant qu’il est nécessaire pour le gouvernement de l’être intelligent, dans ses rapports avec le monde extérieur. Là est le vrai fondement de la distinction posée par Kant entre la raison spéculative et la raison pratique : car il répugnerait que les idées d’un être intelligent ne fussent pas en rapport harmonique avec ses besoins et avec les actes qu’il doit accomplir en conséquence de ses idées et de ses besoins, tout comme il répugnerait qu’un animal dont l’estomac et les intestins sont appropriés à la digestion d’une proie vivante, n’eût pas reçu de la nature les armes destinées à le mettre en possession de cette proie. Que si l’on sort du cercle des besoins et des actes de l’être intelligent, qui tous dépendent de ses rapports avec le monde extérieur, pour se livrer à des spéculations sur ce que les choses