Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/144

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vrai. Quels moyens a-t-elle pour résoudre ce doute ? Elle n’en a et n’en peut avoir d’autres que ces principes mêmes ; elle ne peut donc juger ces principes que par ces principes ; c’est elle qui se contrôle, et si elle doute d’elle au point de sentir le besoin d’être contrôlée, elle ne peut s’y fier quand elle exerce ce contrôle ; cela est si évident que ce serait faire injure au bon sens d’insister. Il y a en nous, et il est impossible qu’il en soit autrement, une dernière raison de croire ; en fait, nous doutons de cette dernière raison ; évidemment ce doute est invincible ; autrement cette raison de croire ne serait pas la dernière. C’est ce que disent les Ecossais, quand ils soutiennent qu’il implique contradiction d’essayer de prouver les vérités premières, car si on pouvait les prouver elles ne seraient pas des vérités premières ; qu’il est insensé de vouloir démontrer les vérités évidentes par elles-mêmes, car si elles pouvaient être démontrées elles ne seraient pas évidentes par elles-mêmes. C’est ce que répète Kant, lorsqu’il soutient que l’on ne peut objectiver le subjectif, c’est-à-dire faire que la vérité humaine cesse d’être humaine, puisque la raison qui la trouve est humaine. On peut exprimer de vingt manières différentes cette impossibilité ; elle reste toujours la même et demeure toujours insurmontable. » Il y a dans ce passage, que nous tenions à transcrire textuellement, un mélange de principes incontestables et de fausses applications qu’il faut débrouiller. Toute la confusion vient de la diversité des acceptions, tantôt plus larges, tantôt plus restreintes, dans lesquelles on prend le mot de raison. Après que, dans l’analyse des facultés et des organes de l’entendement, on a fait la part des sens, de la mémoire, de la conscience, dont les dépositions admettent un contrôle, de l’aveu de Jouffroy, on trouve que l’esprit humain est gouverné par certaines règles, conçoit et juge les choses d’après certaines idées et certains principes que sa constitution lui impose, et qui ne peuvent venir ni des sens, ni de la mémoire, ni de la conscience ; que, par exemple, il conçoit nécessairement un espace et un temps sans limite, au sein desquels des phénomènes s’accomplissent ; qu’il est invinciblement porté (comme l’organisation de toutes les langues le prouve) à attribuer les qualités destructibles qu’il saisit à une substance indestructible qu’il ne saisit pas ; et ainsi de suite. L’ensemble de ces