Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/148

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frappe par plus de complication dans les détails, plus d’unité et d’harmonie dans l’ensemble. Quelle est précisément la part des sens dans l’élaboration de la connaissance humaine ? C’est là le point de litige entre les philosophes ; mais que les sens fournissent des matériaux indispensables à l’édifice de nos connaissances, c’est un fait hors de toute contestation. L’homme a cinq sens, ni plus ni moins : les animaux voisins de l’homme ont les mêmes sens et en même nombre, sauf quelques anomalies tenant à des circonstances accidentelles ; et il faut descendre très-bas dans la série animale pour arriver à des espèces chez lesquelles les organes des sens, ou certains de ces organes, subissent des modifications profondes, se dégradent et disparaissent. À peine pouvons-nous soupçonner, chez quelques espèces, des organes de sensation essentiellement distincts des nôtres, qui n’appartiendraient pas aux types normaux de l’animalité, ou qui ne se montreraient qu’accidentellement et accessoirement. Ce nombre cinq a-t-il donc quelque vertu secrète, tenant à l’essence des choses ? Ou si la nature en l’adoptant a usé pour ainsi dire de son pouvoir discrétionnaire, n’y a-t-il pas lieu de croire qu’avec un sens de plus ou de moins tout le système de nos connaissances serait bouleversé, et non pas seulement étendu ou amoindri ; qu’ainsi c’est de notre part une prétention bien chimérique que celle d’avoir l’intelligence, même superficielle ou bornée, de ce que sont les choses, avec des moyens de perception si visiblement contingents et relatifs, appropriés sans doute aux besoins de notre nature animale, mais nullement accommodés aux exigences présomptueuses de notre curiosité ? Reprenons à ce point de vue l’analyse de nos sensations, tant de fois faite par les philosophes et par les physiologistes, et où il y a toujours à faire.

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Commençons par des remarques qui s’appliquent, non à des organes de sensations spéciales, ou aux sens proprement dits, mais au système général de la sensibilité. L’animal reçoit par toutes les parties de son enveloppe sensible les impressions du chaud et du froid : l’homme, guidé par cette sensation sui generis, arrive à connaître, non pas la nature intime, mais la présence d’un agent qui occasionne cette sensation ; qui pénètre tous les corps en leur imprimant des modifications innombrables ; qui joue un rôle capital dans