Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/153

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précision, doivent guider l’observateur, sans qu’il ait nullement égard aux suggestions trompeuses de la sensibilité.

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Ce n’est donc pas sans fondement que, dès les premiers âges de la philosophie, des esprits spéculatifs se sont récriés contre les erreurs des sens, ont insisté sur la nécessité de dégager la perception sensible de ce qu’elle a de variable, de relatif, d’inhérent à notre organisation, pour arriver à l’idée ou à la pure intelligence des choses. On a outré cette doctrine ; on l’a souvent bien mal attaquée et bien mal défendue ; on l’a liée à des systèmes hasardés ou à des visions mystiques avec lesquelles elle n’a pourtant rien de commun. Surtout on s’est généralement mépris sur le mode de démonstration ou de réfutation qu’elle comporte. Au lieu de prendre, pour l’analyser, la connaissance vulgaire, la connaissance restée, pour ainsi dire, à l’état rudimentaire, il fallait prendre de préférence la connaissance scientifique, c’est-à-dire la connaissance organisée, développée, perfectionnée. Les naturalistes savent bien qu’à l’état rudimentaire, tous les types, toutes les trames organiques se confondent ou semblent se confondre, et que, pour en bien saisir les caractères distinctifs, il est préférable de les étudier dans les hauts perfectionnements de l’organisme. Le type de l’animal et celui du végétal, si nettement distincts dans les espèces supérieures, vont en se confondant à mesure qu’ils se dégradent dans les espèces inférieures. Si donc la science est le perfectionnement organique de la connaissance, il y a de bonnes raisons de présumer que c’est en cherchant jusqu’à quel point, de quelle manière les sens contribuent à l’organisation de la science, que nous pourrons le mieux saisir quelle est essentiellement la part des sens dans l’élaboration de la connaissance, même à l’état élémentaire ou rudimentaire.

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Avant de quitter l’exemple qui nous a suggéré ces réflexions générales, nous ne pouvons nous refuser à fixer un moment l’attention du lecteur sur les principes en vertu desquels nous parvenons à trouver, en fait de températures et de quantités de chaleur, les termes fixes de comparaison, que l’organisation de notre nature sensible ne peut nous fournir. Si l’on construit des thermomètres avec des liquides divers, tels que l’eau, l’alcool, le Mercure, on trouvera que ces instruments ou ces sens artificiels, imaginés pour nous donner l’indication