Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/159

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Une odeur, comme une saveur, est une affection du sujet sentant, qui ne donne aucune représentation, qui n’implique ni ne détermine par elle-même aucune connaissance de l’objet senti. Condillac a pu dire convenablement, en imaginant sa statue bornée au sens de l’odorat, qu’elle se sent odeur de rose, si toutefois notre langage, suggéré par une constitution et des habitudes toutes différentes, est propre à bien rendre les phénomènes obscurs qui se produiraient dans cet état hypothétique. Ce qu’il y a d’incontestable, c’est que le sens de l’odorat ne donnerait à lui seul aucune notion du monde extérieur, et que, dans la constitution normale de l’homme, il n’ajoute rien à la connaissance théorique ou scientifique du monde extérieur. Il fournit aux physiciens quelques exemples de plus de l’extrême divisibilité de la matière ; il sert quelquefois (comme on l’a dit pour le goût) de réactif aux chimistes ; mais ce sens serait aboli, que les progrès de la science n’en seraient point entravés ; la nature n’en aurait pas doué l’homme, qu’il n’en pourrait résulter de perturbation que dans le jeu de ses fonctions animales, sans que, toutes choses égales d’ailleurs, le système de ses connaissances ou la constitution de son intellect en ressentissent la moindre altération.

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Quelque admirable que nous paraisse la structure de l’œil, il y a de bonnes raisons de penser que le sens de l’ouïe est un appareil d’une complication et d’une perfection organique encore plus grande, occupant le plus haut rang dans la série des organes des sens : et, sans rapporter les explications que donnent à ce sujet les anatomistes modernes, et qui ne sont pas de notre ressort, nous ferons remarquer (89) que le sens de la vue est moins parfait chez l’homme que chez des espèces qui s’éloignent beaucoup de l’homme et qui occupent incontestablement un rang inférieur dans la série animale ; tandis que l’appareil de l’audition atteint sa perfection chez l’homme, où il doit être en rapport avec la faculté de produire des voix articulées, de manière à déterminer la formation du langage, condition organique du développement de toutes nos facultés intellectuelles. Néanmoins, comme l’influence du langage sur l’élaboration de la pensée doit être étudiée à part et à la faveur de considérations d’un autre ordre, nous ferons abstraction ici de cette influence indirecte du sens de l’ouïe sur le développement de l’intelligence ; nous