Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/249

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des nombres, nous croyons, et avec fondement (36), étudier certains rapports généraux entre les choses, certaines lois ou conditions générales des phénomènes : ce qui n’implique pas nécessairement que toutes les propriétés des nombres jouent un rôle dans l’explication des phénomènes, ni à plus forte raison que toutes les circonstances des phénomènes ont leur raison suprême dans les propriétés des nombres, conformément à cette doctrine mystérieuse qui s’est transmise de Pythagore à Kepler, qui a pris naissance dans la haute antiquité, pour ne disparaître qu’à l’avènement de la science moderne. En général il arrive qu’après que la nature des choses a fourni le type d’une abstraction, l’idée abstraite ainsi formée suggère à son tour des abstractions ultérieures, des généralisations systématiques qui ne sont plus que des fictions de l’esprit (16). De là vient que les idées qu’on appelle neuves, parce qu’elles projettent sur les objets de notre connaissance un jour nouveau, ont leur temps de fécondité et leur temps de stérilité et d’épuisement. Si ces idées neuves sont fécondes, c’est que, loin d’être créées de toutes pièces par le génie qui s’en empare, elles ne sont pour l’ordinaire que l’heureuse expression d’un rapport découvert entre les choses ; et si leur fécondité n’est pas illimitée, comme le nombre des combinaisons artificielles dans lesquelles l’esprit peut les faire entrer, c’est que la nature ne s’assujettit point aux règles logiques qui président à la coordination systématique de nos idées. De là vient encore que le défaut général des systèmes est d’être, comme on dit, trop exclusifs, ou de n’embrasser qu’une partie des vrais rapports des choses, et de s’en écarter tout à fait dans leurs conséquences extrêmes ou dans leur prolongement excessif.

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Non-seulement l’application des idées fondamentales des mathématiques à l’interprétation scientifique de la nature nous montre qu’elles ne sont pas des créations artificielles de l’esprit, mais il est à remarquer que plusieurs de ces idées, malgré leur haut degré de généralité et d’abstraction, ne sont que des formes particulières, et en quelque sorte des espèces concrètes d’idées encore plus abstraites et plus générales, auxquelles nous pourrions nous élever par d’autres voies que celles de l’abstraction mathématique, et par la contemplation d’autres phénomènes que ceux auxquels le calcul et