Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/268

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aux métaux, aux arbres, et non pas aux armées, aux tribunaux, aux nobles, etc…,. » Mais toujours la préoccupation des substances et des distinctions substantielles est venue dans leur esprit offusquer une lueur bien éloignée alors de ce degré de clarté auquel l’a portée, dans les temps modernes, une étude approfondie de l’organisation des êtres. La conséquence à tirer de ce chapitre de l’histoire de l’esprit humain, c’est que tout s’éclaircit quand on prend pour fil conducteur, dans l’interprétation philosophique de la nature, l’idée de la raison des choses, de l’enchaînement des causes et de la subordination rationnelle des phénomènes, cette idée souveraine et régulatrice de la raison humaine : tandis que tout s’obscurcit et s’embrouille quand on prend pour idée régulatrice et dominante l’idée de substance, qui n’a qu’un fondement subjectif, ou dont la valeur objective est renfermée dans des limites qu’ignorait le génie d’Aristote, et dont les docteurs du moyen âge ne pouvaient avoir la moindre notion (117 et 135). Cependant, il faut le reconnaître, l’instrument du langage s’est façonné d’après cette idée de la substance, suggérée par la conscience que nous avons de notre personnalité ou de notre moi, pour parler le langage des métaphysiciens modernes. L’ordre des catégories d’Aristote est conforme au génie des langues et à ce qu’on pourrait appeler l’ordre des catégories grammaticales. De là une véritable contradiction (136 et 143), une opposition réelle entre les conditions de structure de l’organe de la pensée, et la nature des objets de la pensée : contradiction qui a tourmenté les philosophes pendant les siècles où l’on devait d’autant plus se préoccuper des formes logiques, que la science des choses était moins avancée, et pour la solution de laquelle il faut savoir se dégager de l’influence des formes logiques et du mécanisme du langage, sans pour cela sortir des limites de ce monde et de la réalité actuelle, ni des conditions vraiment essentielles de la science humaine.