Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/283

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est le fruit de recherches patientes ou de l’inspiration du génie. Si l’on y arrive méthodiquement et progressivement, en raison des progrès de la civilisation et de la culture des individus et des peuples, et de manière que des idées et des goûts très-contrastants entre eux dans les temps de barbarie ou d’enfance des peuples tendent à se rapprocher des mêmes types par suite des communications et des progrès que la civilisation amène, on est fondé à penser que l’homme ne se forge pas ces types, mais qu’il les découvre et les perçoit d’autant plus nettement que ses yeux sont mieux préparés à s’ouvrir aux impressions d’une lumière du dehors. Si au contraire (ce qui semble plus conforme aux témoignages historiques) l’inspiration du génie individuel entre pour la plus grande part dans la découverte du beau en fait d’art ; si les chefs-d’œuvre du génie, objets continuels d’imitation et d’étude, exercent sur les idées que les hommes se font du beau une influence ineffaçable, peut-on concilier ce fait avec la loi générale qui veut que toute action accidentelle et isolée ne laisse que des traces passagères, à moins d’admettre que le génie individuel a révélé à l’humanité des types permanents, dont la connaissance et le sentiment une fois acquis ne peuvent plus se perdre, à moins d’un retour à la barbarie qui en abolirait toute empreinte ?

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« Il y a dans l’art, dit La Bruyère, un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature : celui qui le sent et qui l’aime a le goût parfait ; celui qui ne le sent pas, et qui aime en deçà ou au delà, a le goût défectueux. Il y a donc un bon et un mauvais goût, et l’on dispute des goûts avec fondement. » Mais quel est donc ce point de bonté ou de maturité dans la nature, qui peut être regardé comme le fondement et la raison, ou tout au moins comme le modèle de la perfection dans l’art ? Nous allons prendre un exemple, et discuter à ce point de vue l’idée que nous nous faisons des types spécifiques et les conditions de la perfection idéale dans les êtres organisés, façonnés d’après ces types. Ne considérons d’abord, pour plus de simplicité, que ce qui tient aux dimensions, aux contours et aux formes sensibles.