Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/30

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de saisir les vérités absolues et nécessaires, l’idée de Dieu, celle de l’infini, les idées de l’espace et du temps sans limites, l’idée du devoir et d’autres du même genre. Enfin il y a chez nous des auteurs, et des plus récents, pour lesquels le terme de raison n’est qu’une rubrique générale comprenant toutes les facultés qui se rapportent à la connaissance, par opposition avec celles qui se rapporteraient, d’une part à la sensibilité, d’autre part à l’activité.

Nous n’entendons contester précisément aucune de ces définitions : toutes peuvent être, en tant que définitions conventionnelles et arbitraires, d’un usage commode pour l’exposition de certains systèmes. Nous soutenons seulement que ces définitions sont arbitraires et systématiques, et qu’elles ne mettent pas suffisamment en relief le caractère le plus essentiel par lequel l’homme se distingue, comme être raisonnable, des êtres auxquels le bon sens dit qu’il faut accorder l’intelligence à un certain degré, mais non la raison. Et d’abord, n’est-il pas évident qu’on se place dans une région trop élevée, qu’on s’éloigne trop de la nature et de ce qu’on pourrait appeler les conditions moyennes de l’humanité, quand on fait consister ce caractère distinctif dans la perception des vérités absolues et nécessaires, dans la conception de Dieu et de l’infini ? Voyez cet enfant à peine en possession du langage, dont l’active curiosité presse de questions ses parents et ses maîtres : il s’écoulera encore bien du temps avant qu’il n’ait la notion de l’infini, du nécessaire et de l’absolu, et déjà il voudrait savoir le comment et le pourquoi des choses qui tombent dans le domaine borné de son intelligence. Il est déjà, par ce fait seul, infiniment supérieur au plus intelligent des animaux ; et malgré l’ignorance où il vit de toutes les idées abstraites qui gouvernent la raison de l’adulte, on regardera cette curiosité enfantine comme l’indice et le germe des facultés qu’il doit appliquer un jour à des études d’un ordre relevé, et qui lui donneront la supériorité sur les esprits ordinaires. Mais, sans nous arrêter à considérer ce qui se passe chez