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CHAPITRE XIV

Du langage.


205. — Une langue est un système de signes, en nombre nécessairement limité, qui doivent s’associer ou se combiner d’après certaines règles, et qui sont destinés à fournir à l’homme les moyens d’exprimer ses sensations, ses idées, ses sentiments et ses passions. D’après ce simple énoncé, rapproché de ce qui a été dit au chapitre qui précède, on doit comprendre que, dans la plupart des cas, le but du discours ne saurait être qu’imparfaitement atteint. Le travail de l’orateur, et par suite le travail de l’écrivain, ont de l’analogie avec celui de cet artiste en mosaïque, à qui l’on ne donne, pour copier un objet pris dans la nature ou un tableau ordinaire, qu’un assortiment de pierres dont les teintes sont fixes et les dimensions déterminées d’avance. Il est clair que cet artiste ne peut reproduire qu’approximativement les couleurs et les contours des objets sur lesquels s’exerce son talent d’imitation.

Les articulations de la voix et la peinture de ces articulations par l’écriture vulgaire ne sont pas les seuls signes que la nature ait mis à la disposition de l’homme pour la communication de ses pensées. Les avantages du langage oral sur le discours écrit tiennent justement à ce que les signes accessoires de la parole, l’accent, l’intonation, le geste, le mouvement des yeux et de la physionomie, l’accélération et le ralentissement du débit, se prêtent au besoin à des nuances infinies, comme celles des pensées qu’il s’agit de rendre, comblent en quelque sorte les intervalles et les hiatus du langage, et (pour employer l’expression reçue)