Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/40

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de la raison des choses et les conséquences qu’on en tire supposent souvent qu’on a fait abstraction de l’ordre suivant lequel des phénomènes irréguliers et accidentels se sont produits dans le temps, pour ne considérer que des résultats généraux, dégagés de l’influence de ces causes accidentelles et de leur mode de succession chronologique, ou les conditions d’un état final et stable, pareillement indépendantes du temps ; en un mot pour arriver à une théorie dont le caractère essentiel est d’être affranchie des données de la chronologie et de l’histoire. À plus forte raison, les sciences qui ne traitent que de vérités abstraites, permanentes et tout à fait indépendantes du temps, comme les mathématiques, ne pourront nulle part offrir, dans le système des faits qu’elles embrassent, rien qui ressemble à la liaison entre deux phénomènes dont l’un est conçu comme la cause efficiente de l’autre. Cependant, quiconque est un peu versé dans les mathématiques distingue, parmi les différentes démonstrations qu’on peut donner d’un même théorème, toutes irréprochables au point de vue des règles de la logique et rigoureusement concluantes, celle qui donne la vraie raison du théorème démontré, c’est-à-dire celle qui suit dans l’enchaînement logique des propositions l’ordre selon lequel s’engendrent les vérités correspondantes, en tant que l’une est la raison de l’autre. Tant qu’une telle démonstration n’est pas trouvée, l’esprit ne se sent pas satisfait : il ne l’est pas, parce qu’il ne lui suffit point d’étendre son savoir en acquérant la connaissance d’un plus grand nombre de faits, mais qu’il éprouve le besoin de les disposer suivant leurs rapports naturels, et de manière à mettre en évidence la raison de chaque fait particulier. En conséquence, on dit qu’une démonstration est indirecte, lorsqu’elle intervertit l’ordre rationnel ; lorsque la vérité, obtenue à titre de conséquence dans la déduction logique, est conçue par l’esprit comme renfermant au contraire la raison des vérités qui lui servent de prémisses logiques. On a toujours reproché à certaines démonstrations des géomètres, et notamment à celles qu’on appelle réductions à l’absurde, de contraindre l’esprit sans l’éclairer : cela ne veut dire autre chose sinon que de pareilles démonstrations ne mettent nullement en évidence la raison de la vérité démontrée, que pourtant l’esprit se refuse à admettre comme un fait