Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/42

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sont sensiblement effacées ; et lorsque l’on considère cet état final, il n’y a plus de raison d’attribuer à l’un des éléments plutôt qu’à l’autre une part prépondérante dans l’harmonie qu’on observe. De pareilles remarques sont applicables à l’harmonie qui s’établit entre les formes d’une langue et la tournure des idées du peuple qui la parle, à celle qui s’observe entre les habitudes d’une espèce animale, d’une race, d’un individu, et les modifications correspondantes de son organisme. D’autres fois, un des termes du rapport harmonique aura une influence prépondérante, mais non tellement dominante qu’il ne faille aussi faire la part de l’action réciproque ; et entre les deux cas extrêmes on pourra concevoir une multitude de variétés intermédiaires. C’est ainsi que, de la constitution de notre système planétaire, résulte une subordination bien marquée des planètes au Soleil et des satellites à leurs planètes principales ; mais il pourrait y avoir entre les corps d’un autre système de telles relations de masses et de distances, qu’ils s’influenceraient respectivement sans qu’il y eût entre eux de hiérarchie aussi marquée, ou même sans qu’il restât aucune trace de prépondérance.

Dans l’ordre des conceptions abstraites, il y a pareillement lieu d’observer cette réciprocité des rapports, inconciliable avec la notion d’effets et de causes proprement dites. Beaucoup de propriétés des nombres dépendent des lois qui gouvernent la théorie de l’ordre et des combinaisons en général : réciproquement, la science des combinaisons relève en mille endroits de l’arithmétique pure et des propriétés des nombres. Suivant les propriétés que l’on considère, les mêmes objets de la pensée peuvent occuper des degrés divers dans la série des abstractions et des généralités ; et de là un enchevêtrement de rapports, incompatible avec l’idée si simple d’un développement linéaire, comme celui qui appartient à la série des causes et des effets. Nous poursuivrons plus loin les conséquences de ces remarques : ici nous n’avons en vue que d’indiquer les principaux caractères qui ne permettent pas d’identifier l’idée de la raison des choses avec l’idée de cause efficiente, ni d’accepter pour l’une de ces idées les explications qu’on accepterait pour l’autre, si tant est qu’il y ait lieu de chercher comment et pourquoi existent dans l’esprit humain ces idées fondamentales qui en gouvernent toutes les opérations.