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GRAMMAIRE


acquiert toutes les perfections dont elle peut être ſuſceptible : ſentimens du cœur, feu du génie, richeſſes de l’imagination, profondeur d’eſprit, tout devient un bien commun aux hommes : les connoiſſances de l’un, ſont les connoiſſances de tous : ainſi en ajoutant ſans ceſſe découvertes à découvertes, arts ſur arts, lumières ſur lumières, l’eſprit de l’homme s’embellit, s’agrandit, ſe perfectionne ſans ceſſe ; s’embrâſant mutuellement, il s’éléve aux plus grandes choſes, rien ne lui paroît au-deſſus de ſes forces, il oſe tout, & tout paroît s’aplanir devant ſon audace : tandis que ſans cette émulation, l’homme ſeul, iſolé, plongé dans une langueur ſtupide, n’auroit preſqu’aucune ſupériorité ſur les Animaux qui vivent en famille, & que des cris avertiſſent de leurs beſoins mutuels.

Mais l’Homme ne peint pas ſeulement ſes idées à ceux qui l’environnent, & au milieu deſquels il vit ; comme s’il rempliſſoit la Terre, comme s’il vivoit dans l’étendue des ſiécles, il a trouvé le moyen de peindre ſes idées d’une manière qui les rende ſenſibles à ceux dont il eſt éloigné, comme s’ils étoient ſous ſes yeux : la peinture de ſes idées, ſi dégagées de toute matière, prend la conſiſtence du marbre, elle ſe transporte d’un bout du Monde à l’autre, elle pénétre à travers l’immenſité des âges.

Ainſi l’eſprit de tel Homme eſt préſent pour tous les Peuples, lors même que cet Homme n’eſt plus : ainſi nous pouvons profiter des connoiſſances, des charmes de la converſation, du génie de tous les Sages, dans quelque tems & en quelque lieu qu’ils ayent exiſté.

En vain, les Hommes ont vécu épars, à de grandes diſtances & dans des époques prodigieuſement éloignées : leur eſprit ſe concentre en un ſeul point, & toujours leur génie anime & réjouit les Mortels ; d’autant plus grand qu’il s’étend ſur la Nature entière, qu’il en emprunte les couleurs & les grâces ; qu’avec elle, il tonne, il fulmine, il éclate ; & qu’après nous avoir agités & émus par les Tableaux les plus terribles, s’adouciſſant avec elle, il nous charme par les accens les plus doux, par le coloris le plus flatteur & par la peinture des objets les plus délicieux.

Par quel moyen l’homme eſt-il parvenu à cet Art admirable ? Comment a-t-il pu deſcendre au dedans de lui-même, démêler ce qui s’y paſſe, ſaiſir les Tableaux qui s’y forment ; & ſe repliant hors de lui, rendre ces Tableaux ſenſibles aux hommes, toutes les fois qu’il eſpéroit quelqu’avantage de cette communication ?

Depuis que le Monde exiſte, l’Homme n’a pu être inſenſible à ces merveilles ; déjà depuis long-tems, il a dû rechercher comment elles s’opé-