Page:Couturat - Le principes des mathématiques, La Philosophie des mathématiques de Kant (1905) reprint 1980.djvu/286

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sur des signes sensibles, qui soulagent la mémoire et l’attention et garantissent contre toute omission et tout oubli. Les mots, au contraire, ne peuvent pas rendre le même service car on ne peut les manier sans penser plus ou moins à leur sens ; et alors on est toujours exposé à confondre ou à altérer leurs significations. Ces avantages du symbolisme algébrique sont réels, mais ils ne constituent pas un argument en faveur de la thèse kantienne : et la preuve en est qu’ils ont été reconnus par des rationalistes tels que Descartes et Leibniz.

Celui-ci surtout considérait si bien le calcul algébrique comme une méthode d’infaillibilité, qu’il voulait l’étendre à toute espèce de déduction, et constituer une Caractéristique universelle qui fût un « juge des controverses ». Il vantait, bien plus fortement que Kant, le secours que la pensée tire de l’emploi de signes « commodes et appropriés », sans pour cela tomber dans le nominalisme et réduire l’Algèbre, la Mathématique et la Logique elle-même à un pur jeu de symboles dénués de sens. Ce qui fait la supériorité du calcul algébrique sur le raisonnement verbal, ce n’est pas que dans le premier on raisonne sur les signes et dans le second sur les idées ; c’est que dans le premier les signes correspondent à des idées claires et bien définies, tandis que dans le second les signes, c’est-à-dire les mots, correspondent à des idées confuses, flottantes et équivoques, que l’usage vulgaire y associe d’ordinaire. Le signe est simplement un moyen d’identifier un concept précis et rigoureusement défini ; et le mot rendrait le même service, à la condition que son sens fût lui aussi bien défini, et qu’on ne lui en attribuât jamais d’autre. Il ne faut donc pas attribuer aux signes une vertu quasi mystérieuse qui garantisse sûrement de l’erreur ; on commet des fautes de calcul aussi bien que des fautes de raisonnement, ce qui n’empêche pas le calcul, comme le raisonnement, de donner la certitude et d’être théoriquement infaillible. Il est étrange de voir Kant faire consister, comme un simple empiriste, « l’évidence » dans la « certitude intuitive », faire appel au témoignage des « yeux » pour « préserver toutes les déductions de l’erreur », et ne reconnaître comme [278]