Page:Couturat - Le principes des mathématiques, La Philosophie des mathématiques de Kant (1905) reprint 1980.djvu/8

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tisme. Exiger qu’on juge toujours un philosophe « de l’intérieur » à son point de vue et à celui de son temps, c’est admettre qu’il n’y a pas de vérité en philosophie, qu’un système philosophique est une œuvre d’art qui ne vaut que par son unité intrinsèque et son harmonie[1]. En philosophie comme ailleurs, le respect superstitieux du fait historique aboutit au dilettantisme et au scepticisme.

Comme de juste, nous manifestons la même indépendance à l’égard de nos opinions anciennes. Nous devons prévenir ceux de nos lecteurs qui connaîtraient notre ouvrage De l’infini mathématique que nous renions désormais quelques-unes des thèses que nous y avons soutenues. Pour préciser, nous en maintenons toute la partie didactique et critique ; c’est la partie positive, notamment la théorie du nombre et celle de la grandeur, que nous remplacerions par les chapitres II et III du présent livre. Les critiques sont avertis par là de ne pas nous opposer des contradictions manifestes entre nos thèses d’aujourd’hui et celles d’autrefois. S’il nous fallait une excuse pour avoir varié, c’est-à-dire, croyons-nous, pour avoir progressé, elle se trouverait dans ce fait, que presque tous les travaux dont nous nous inspirons ici ont paru dans les dix années qui se sont écoulées depuis la composition de notre premier ouvrage.

Cette considération ne nous laisse non plus aucune illusion sur le caractère définitif de notre travail. Lors même qu’il serait au courant aujourd’hui, il ne le serait plus demain. Tous les ans, on pourrait presque dire : tous les mois, il parait de nouveaux mémoires sur les principes de telle ou telle branche des mathématiques, qui parachèvent sur quelque point la reconstruction logique des sciences exactes. Le nombre et la variété des travaux de ce genre qui paraissent en Italie et en

  1. D’ailleurs, même à ce point de vue, le système de Kant reste encore sujet à critique. Son savant commentateur n’a-t-il pas déclaré que « la Critique de la raison pure est l’œuvre la plus géniale et la plus pleine de contradictions de toute l’histoire de la philosophie » ? (Vaihinger, Commentar zu Kants Kritik der reinen Vernunft, t. II, Préface ; 1892). Nous avons eu l’occasion (et l’audace) de remarquer quelques-unes de ces contradictions.