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octave crémazie

« Pour ces fleurs que vous avez semées sur mon existence maintenant si aride, soyez mille fois remercié du plus profond de mon cœur.

« Comme toutes les natures d’élite, vous avez une foi ardente dans l’avenir des lettres canadiennes. Dans les œuvres que vous appréciez, vous saluez l’aurore d’une littérature nationale. Puisse votre espoir se réaliser bientôt ! Dans ce milieu presque toujours indifférent, quelquefois même hostile, où se trouvent placés en Canada ceux qui ont le courage de se livrer aux travaux de l’intelligence, je crains bien que cette époque glorieuse que vous appelez de tous vos vœux ne soit encore bien éloignée.

« MM. Garneau et Ferland ont déjà, il est vrai, posé une base de granit à notre édifice littéraire ; mais, si un oiseau ne fait pas le printemps, deux livres ne constituent pas une littérature. Tout ce qui s’est produit chez nous en dehors de ces deux grandes œuvres ne me semble pas avoir chance de vie. Qui lira X*** dans cinquante ans ? Et, s’il m’est permis de parler de moi, qui songera à mes pauvres vers dans vingt ans ?

« Nous n’avons donc réellement que deux œuvres hors ligne, les monuments élevés par MM. Garneau et Ferland. Dans la poésie, dans le roman nous n’avons que des œuvres de second ordre. La tragédie, le drame sont encore à naître. La cause de cette infériorité n’est pas dans la rareté des hommes de talent, mais dans les conditions désastreuses que fait à l’écrivain l’indifférence d’une population qui n’a pas encore le goût des