Page:Crémazie - Œuvres complètes, 1882.djvu/198

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Quand la nuit de ses voiles sombres
Couvre nos cabanes de bois,
Nous regardons passer les ombres
Des Algonquins, des Iroquois.
Ils viennent ces rois d’un autre âge,
Conter leurs antiques grandeurs
À ces vieux chênes que l’orage
N’a pu briser dans ses fureurs.
Dans la forêt et sur la cage
Nous sommes trente voyageurs.

Puis sur la cage qui s’avance
Avec les flots du Saint-Laurent,
Nous rappelons de notre enfance
Le souvenir doux et charmant.
La blonde laissée au village,
Nos mères et nos jeunes sœurs,
Qui nous attendent au rivage,
Tour à tour font battre nos cœurs.
Dans la forêt et sur la cage
Nous sommes trente voyageurs.

Quand viendra la triste vieillesse
Affaiblir nos bras et nos voix,
Nous conterons à la jeunesse
Nos aventures d’autrefois.
Quand enfin pour ce grand voyage,
Où tous les hommes sont rameurs,
La mort viendra nous crier : « Nage ! »
Nous dirons bravant ses terreurs :
— Dans la forêt et sur la cage
Nous étions trente voyageurs.

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Québec, janvier 1862