Page:Crémazie - Œuvres complètes, 1882.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Son corps, en descendant au repos éternel,
« Ne s’éveille jamais pour venir sur la terre
« Implorer les vivants, car, hélas ! leur prière,
« Sans force pour l’enfer, est inutile au ciel. »

Pendant quelques instants ils gardent le silence ;
La mer, chantant toujours son hymne de souffrance,
Fait monter ses sanglots dans les ciel nuageux.
Mais les trois voyageurs vont d’un pas plus rapide,
Quand, dévorant ses traits de son regard avide,
Le plus jeune soudain, s’adressant au plus vieux :

« Mon ami, lui dit-il, je vois sur votre joue
« Un ver qui vous dévore, et, quand le vent se joue
« Dans vos cheveux blanchis, à ses frémissements
« On dirait qu’il a peur de perdre sa pâture.
« Arrachez donc ce ver et cachez sa morsure,
« Peut-être pourrait-il effrayer les vivants !… »

Mais le vieux mort : « Enfant, quand nous quittons nos tombes,
« Crois-tu que nous soyons blancs comme les colombes,
« Et purs comme les lis qui croissent dans les champs ?
« Dans l’espace de temps que, là-haut sur la terre,
« Nous appelions trois mois, sais-tu combien ta bière
« A vu de vers nouveaux s’attacher à tes flancs ?

« La femme a sa beauté ; le printemps a ses roses,
« Qui tournent vers le ciel leurs lèvres demi-closes ;
« La foudre a son nuage où resplendit l’éclair ;
« Les grands bois ont leurs bruits mystérieux et vagues ;
« La mer a les sanglots que lui jettent ses vagues ;
« L’étoile a ses rayons ; mais le mort a son ver !…