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dernières lettres.

l’Angleterre depuis bientôt un mois. Des personnes de la maison reçoivent régulièrement des lettres de Londres, où leurs parents avaient été chercher un asile lors de l’investissement de Paris. Dans la position critique où je me trouve, vous comprendrez facilement quelles doivent être mes angoisses. Vous m’aviez autorisé à tirer sur vous, mais, les lettres qui me portaient cette autorisation étant datées du mois d’octobre, il a pu se passer tant de choses pendant ces cinq longs mois que je n’oserais plus, quand même j’aurais la facilité de le faire, formuler une traite sur vous. Je suis donc obligé de continuer à vivre d’emprunts, ce qui ne peut pas durer éternellement. Si je ne reçois pas de vos nouvelles cette semaine, je ne sais pas comment je pourrai me tirer d’affaire. Enfin, à la grâce de Dieu !

Vous savez déjà depuis plusieurs jours que la paix est signée, la France démembrée, cinq milliards d’indemnité, la Champagne occupée jusqu’au paiement total de l’indemnité. Ces conditions à la Shylock laissent dans le cœur des Français une soif de vengeance qui fera recommencer la lutte avant cinq ans. La paix du ler mars n’est qu’une trève et la guerre n’est qu’ajournée. L’Europe, en prévision de ces luttes prochaines, va être obligée de continuer ses armements, et, la confiance dans l’avenir étant impossible, le commerce et l’industrie ne verront pas, d’ici à longtemps, de jours prospères. L’avenir est sombre, non seulement pour la France, mais encore pour toute l’Europe.