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octave crémazie

crois qu’il est bien à moi et que je puis dire, comme Musset :

Mon verre n’est pas grand, mais je bois dans mon verre.

« Plusieurs le trouveront absurde, mais quand j’écris, c’est pour exprimer mes idées et non pas celles des autres.

« Quand finirai-je ce poème ? Je n’en sais rien, je suis un peu maintenant comme Gérard de Nerval. Le rêve prend dans ma vie une part de plus en plus large ; vous le savez, les poèmes les plus beaux sont ceux que l’on rêve mais qu’on n’écrit pas. Il me faudrait aussi corriger la première partie, qui renferme de trop nombreuses négligences. Dans votre dernière lettre, vous voulez bien me dire que tout un peuple est suspendu à mes lèvres. Permettez-moi de n’en rien croire. Mes compatriotes m’ont oublié depuis longtemps. Du reste, dans la position qui m’est faite, l’oubli est peut-être la chose qui me convient le mieux. Si je termine les Trois morts, ce ne sera pas pour le public, dont je me soucie comme du grand Turc, mais pour vous qui m’avez gardé votre amitié, et pour les quelques personnes qui ont bien voulu conserver de moi un souvenir littéraire.

« La poésie coule par toutes vos blessures, me dites-vous encore. De tout ce que j’avais, il ne me reste que la douleur : je la garde pour moi. Je ne veux pas me servir de mes souffrances comme d’un moyen d’attirer sur moi l’attention et la pitié, car j’ai toujours pensé