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octave crémazie

« Je vous avais promis de vous envoyer la fin de mon poème des Trois morts. J’ai travaillé, dans ces mois derniers, à remplir ma promesse. Vous savez que j’ai toujours eu l’habitude de ne jamais écrire un seul vers. C’est seulement lorsque je devais livrer à l’impression que je couchais sur le papier ce que j’avais composé plusieurs semaines, souvent plusieurs mois auparavant. Il se trouve maintenant que j’ai oublié presque tous les vers faits il y a bientôt sept ans.

« Les maux de tête qui m’ont tourmenté presque constamment ont-ils affaibli ma mémoire ? L’avalanche de tristesses et de douleurs qui a roulé jusqu’au fond de mon âme, a-t-elle écrasé dans sa chute ces pauvres vers que j’avais mis en réserve dans ce sanctuaire que l’on appelle le souvenir ?

« Je l’ignore. Ce que je sais, c’est que je n’ai plus ma mémoire du temps jadis.

« Je suis donc obligé de refaire ce poème. J’y travaille lentement, d’abord parce que ma tête ne me permet plus les longues et fréquentes tensions d’esprit, ensuite parce que je n’ai plus pour la langue des dieux le goût et l’ardeur d’autrefois. En vieillissant, ma passion pour la poésie, loin de diminuer, semble plutôt augmenter. Seulement, au lieu de composer moi-même des vers médiocres, j’aime bien mieux me nourrir de la lecture des grands poètes.

« Comme je n’ai jamais été assez sot pour me croire un grand talent poétique, je suis convaincu que mes œuvres importent peu au Canada, qui compte dans sa