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octave crémazie

projectile vint tomber devant moi, tuant une femme qui traversait la rue et emportant la tête d’un cheval ; j’en eus assez. La couardise des poètes ne s’est guère démentie depuis Horace, ajoutait Crémazie avec un sourire, en citant la spirituelle tirade du poète latin.


VI


Un jour, comme je suivais la rampe du quai Voltaire en admirant l’immense suite de palais qui bordent la Seine, et au delà les Champs-Elysées couronnés à l’horizon par l’arc de triomphe de l’Étoile, j’avisai à quelques pas devant moi un individu penché sur la rampe, le nez dans un livre ouvert, et dont la tournure me faisait l’effet d’Octave Crémazie. J’approchai, c’était bien lui ; je lui frappai sur l’épaule.

— Tiens, c’est vous, me dit-il, en se relevant brusquement. Regardez donc quelle belle édition de Racine : ce n’est qu’à Paris qu’on imprime comme cela. Mais, d’où venez-vous ?

— De Notre-Dame, où j’ai entendu le père Monsabré.

— J’en arrive moi aussi. C’est un merveilleux diseur ; mais la renommée de Lacordaire et de Ravignan l’écrase. Il captive toutefois son auditoire ; la nef était comble. Toute l’élite de Paris, le faubourg Saint-Germain était là ; vous avez vu cette nuée d’équipages devant le portique ? Ah ! j’oubliais ; notre ami Bossange m’écrivit hier, il nous invite tous deux à passer quelques jours à son château. En êtes-vous ? »