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octave crémazie

flambait un petit feu de coke ou de fagots. Dire l’entrain et le brillant de sa conversation durant ces longues veillées ou pendant que nous cheminions du parc Monceaux au Jardin des Plantes, du Père-Lachaise au bois de Boulogne ! Il faut l’avoir entendu. Ses dix ans de souvenirs, d’impressions, d’observations, débordaient de sa mémoire avec l’impétuosité d’un torrent longtemps comprimé qui a rompu ses digues.

Il était superbe dans la discussion, surtout lorsqu’il se sentait serré de près. C’est alors qu’il déployait les ressources de son large esprit. D’une nature essentiellement française, il était Parisien pour la finesse du trait jeté à propos : il en savait la force. Quand il avait lancé les gros bataillons de son raisonnement, il attaquait avec l’arme de l’ironie, cette réserve des maîtres, et il achevait de désarmer par un franc rire,

Ce rire d’autrefois, ce rire des aïeux,
Qui jaillissait du cœur comme un flot de vin vieux.

Ceux qui ne connaissent Crémazie que par ses poésies, n’ont vu qu’une part de son génie, le côté solennel, parfois un peu poseur, grandiose, si vous le voulez, mais où le laisser-aller est naturellement absent. Sous ce rapport, sa correspondance est une révélation. Elle nous fait voir Crémazie tel qu’il était dans nos conversations, à la fois érudit et spirituel, moqueur mais avec bienveillance, aimant à mettre en saillie le ridicule et le grotesque, puis ayant de soudains retours de noire mélancolie, pendant lesquels, la main crispée sur le cœur, il semblait vouloir déchirer son vêtement