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SOUVENIRS

connues. Voilà pourquoi j’ai voulu vous la garder, connue on dit vulgairement, pour la bonne bouche.

Gabrielle-Anne de Froulay, Baronne de Breteuil et de Preuilly, était renommée pour sa beauté. Sa figure était de celles qui vous frappent, qu’on n’a vues qu’une fois, et qu’on prévoit ne retrouver jamais. Son teint était une véritable merveille d’éclat naturel et de fraîcheur. Elle avait les cheveux absolument de couleur cendrée, les sourcils noirs, les yeux gris d’un aigle, l’air doux, spirituel et singulièrement imposant. Elle était naturellement sérieuse, et je ne crois pas qu’on l’ait jamais vue sourire, autrement que par condescendance, ou par un mouvement de tendresse en regardant ses enfans, qui étaient les plus charmantes créatures du monde, à l’exception de la gauche Émilie, bien entendu. Elle était prodigieusement instruite, et les deux parties du savoir où ma tante excellait, étaient surtout la théologie et l’astronomie. Elle se raillait souvent de son goût pour les deux sciences les plus masculines, disait-elle, puisqu’elles étaient les plus élevées. Je crois bien que Madame du Châtelet n’a jamais su d’astronomie que ce que sa mère en avait laissé tomber dans la conversation devant elle. Ma tante était passionnée dans ses affections, incapable d’éprouver la haine, impuissante pour la moquerie, inaccessible à la vanité. Sa prévoyance et sa clairvoyance étaient admirables. Son caractère était solide et calme. Enfin, pour qui la retrouvait à 33 ans après l’avoir vue à 15, elle ne paraissait ni beaucoup plus sensée, ni beaucoup moins jolie. Avec de si hautes et si charmantes qualités, ma tante avait