Page:Créquy - Souvenirs, tome 1.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
116
SOUVENIRS

deux jours après mon mariage, il attacha sur moi ses deux petits yeux sataniques, en me disant de ses lèvres serrées et de sa bouche plate comme un coup de sabre, qu’il me complimentait avec justice et sincérité, parce que M. de Créquy était un homme de bonne maison. Je trouvai la formule impertinente, et je me rappelai fort à propos qu’il avait mal parlé de la naissance de MM. de Breteuil, que je faisais profession d’honorer. Je lui répondis qu’il avait acquis bien de l’indulgence, attendu que MM. de Créquy n’étaient plus titrés comme Ducs, et ceci, grâce à Dieu ! On n’a jamais vu d’agitation corporelle et de contraction faciale à l’égal de ce que ceci lui fit éprouver. On aurait dit qu’il allait tomber en convulsion ! …

Le véritable nom de M. le Duc était Louis Le Borgne, dit de Rouvroy et même de Vermandois, ce qui en aurait fait une manière de Prince. C’était son père qui avait été créé Duc par une inconcevable imagination du Roi Louis XIII, et c’est à cela que leur famille a dû son illustration. Il appert de l’Histoire des grands-Officiers du Père Anselme, qui est le livre des livres, qu’en tendant leur corde généalogique autant que possible, ils n’ont jamais pu se guinder au-delà d’un Mathieu le Borgne, dit de Rouvroy (à ce qu’ils supposent, et bien qu’il ne soit pas qualifié seigneur de ce fief), lequel Mathieu le Borgne vivait à la fin du quatorzième siècle. On voit qu’il n’y a pas là de quoi faire les superbes, mais l’orgueil est comme un général prudent qui renforce la garde aux postes faibles. Après avoir affiché la plus grande austérité de principes, l’auteur des mé-