Page:Créquy - Souvenirs, tome 1.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
121
DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

teuil encore moins. Comme les leçons qu’il me donnait ne se prenaient jamais que dans le grand salon de l’hôtel de Breteuil, sous les yeux de ma tante et en présence de vingt personnes, il ne fut pas raisonnable à ma cousine Émilie d’en paraître offusquée, et ceci ne manqua pourtant pas d’arriver.

Milord Georges m’avait traduit en français, et suivant la méthode anglaise, en vers blancs, c’est-à-dire sans rimes et non pas sans raison, comme vous allez voir, un charmant quatrain que son père avait fait pour lui, et que je vous applique souvent dans ma pensée :

 
» Quand vos yeux, en naissant, s’ouvraient à la lumière,
» Chacun vous souriait, mon fils, et vous pleuriez.
» Vivez si bien, qu’un jour, à votre dernière heure,
» Chacun verse des pleurs et qu’on vous voie sourire. »

Il me racontait un soir avec assez d’enjoûment l’aventure d’une riche héritière hollandaise qui s’était enfuie avec un Anglais orangiste, et dont les pareils venaient de faire mettre dans les journaux de Londres, que, si elle ne voulait pas revenir auprès de sa famille désolée, ils la priaient au moins de leur renvoyer la clé de leur boîte à thé qu’elle avait emportée ; ce qui me fit rire, et ce qui fit supposer à Mlle de Preuilly que nous nous moquions d’elle, à qui nous ne pensions pas. Émilie en fit ses remarques d’envieuse, et ceci décida le jeune Lord à faire sa proposition de mariage, qui fut sur-le-champ soumise à mon père, à ma grand’mère (dont je vous parlerai tout à l’heure) et à ma tante de Breteuil-Charmeaux, la poltronne, qui se mit à jeter