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SOUVENIRS

Schiraz, qui coûtait douze ou quinze louis. S’il avait le malheur de perdre, il se tirait d’affaire en donnant la collection de ses mandemens et de ses instructions pastorales, dont il apportait, chaque fois qu’il venait à Paris, une cinquantaine d’exemplaires superbement reliés et dorés sur tranche. C’était chose convenue, et chacun s’en arrangeait dans sa famille et dans ma société, parce qu’il était le plus charitable et le plus friand des prélats, le plus candide et le meilleur des hommes. Les bandits ne voulurent rien prendre à l’abbé Cérutti, secrétaire du Cardinal, en disant qu’il était trop joli garçon pour le voler, que ce serait conscience, et qu’ils n’en auraient pas le courage. — Puisque vous avez tant d’égards et de si bons procédés pour lui, leur dit son Éminence, vous devriez bien lui laisser la moitié du pâté de rouges-gorges, avec un flacon de ce vin de Hongrie ? — Ah ! mon Dieu, répondit Cartouche, à cela ne tienne, et s’il veut partager avec nous, il n’a qu’à venir… L’abbé Cérutti ne le voulut pas, et c’était des regrets, des reproches et des récriminations pour mourir de rire[1].

Le Cardinal de Gèvres nous dit aussi qu’il ne voyagerait plus avec ce jeune abbé pour ne scandaliser personne, attendu qu’un des voleurs avait eu

  1. Avis de l’éditeur. On ne saurait garantir que le nom du secrétaire du Cardinal de Gèvres ne soit pas écrit Cérulli. Il paraîtrait difficile que ce fût le fameux Cérutti, à cause de l’âge que lui attribuent les biographies. Du reste, il est assez connu que les biographes peuvent se tromper sur les daTes, aussi bien que sur l’orthographe des noms, prénoms et surnoms.