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SOUVENIRS

était porté par quatre géans, habillés en valets de pied ; il était environné par cinq ou six petits pages, les plus jolis du monde, et c’était visiblement des enfans de bonne maison, car ils avaient tous la croix de Malte ou celle de Saint-Lazare. Un de ces pages était chargé d’un coussin pour mettre sous les pieds ( toujours vert et argent) ; un autre portait une grosse gerbe de verveine et de rhue verte, afin de purifier l’air ; et la petite figure était celle de Monseigneur François Potier de Blancmesnil de Trésiné, Duc de Gèvres et gouverneur de Paris[1].

— Pourquoi donc la Duchesse est-elle enfermée dans sa balustrade ? se prit-il à dire de prime abord, avec une voix de fausset et en minaudant, sans regarder personne. On dirait, poursuivit-il avec un petit air de coquetterie malicieuse, qu’elle voudrait nous tenir à distance et que nous serions des mendians !

  1. On voit dans tous les mémoires du temps que ce Duc de Gèvres était un des plus singuliers personnages du monde. Indépendamment du gouvernement de Paris, dont il s’occupait en faisant des nœuds et des broderies sur une ottomane, il était en possession d’une charge de premier gentilhomme de la chambre, qu’il n’exerçait jamais, de peur de la fatigue. Il est mort aussi en 1757, et l’on ne saurait imaginer combien de personnes distinguées ou connues moururent cette année-là. Il avait passé les dernières années de sa vie couché sur sa chaise longue, à se dorloter ni plus ni moins qu’une femme en couches. On dit alors qu’il était âgé d’environ 70 ans, mais qu’il était impossible de s’en assurer, parce qu’il avait fait enlever le registre qui contenait son acte de baptême, afin qu’on ne pût savoir son âge. Il était persuadé qu’il n’avait pas l’air d’avoir plus de 22 à 25 ans. Vingt-cinq ans l’auraient désespéré.
    (Note de l’Auteur.)