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SOUVENIRS

Elle avait des habitudes farouches, des passe-temps occultes et des allures ténébreuses ; aucune liaison suspecte, à la vérité, mais nulle amitié connue, et non plus de relations avec ses propres parens qu’avec la famille de son mari. Elle habitait presque toujours un vieux, et sombre château nommé Lux, et qui n’est guère éloigné de Saulx-le-Duc en Bourgogne, et lequel château de Lux est le chef-lieu d’une baronnie qui provenait de son chef. Mme de Saulx disparaissait quelquefois de chez elle à l’insu de toute sa maison, sans que personne l’eût vue sortir, et sans qu’on put s’imaginer ce qu’elle était devenue. Ensuite on entendait sonner de sa chambre au bout de sept à huit jours d’absence et de profond silence, on la retrouvait dans son appartement comme si de rien n’était, et toujours avec les mêmes habits dont elle était vêtue le jour de sa disparition. M. le Prince de Condé, Gouverneur de la province, et M. Bouchut, l’intendant de Bourgogne, nous ont toujours dit que les plus fins matois du pays n’y pouvaient rien voir et n’y comprenaient rien.

La Comtesse de Saulx se retire dans sa chambre un samedi soir ; elle envoie coucher ses femmes en leur disant qu’elle ne veut pas se déshabiller encore et qu’elle y pourvoira toute seule. On l’entend fermer aux verroux la porte de sa chambre, et ces deux filles en causèrent en s’en allant, parce que leur maîtresse ne lisait et n’écrivait presque jamais, et

    nom. Son mari, Lieutenant-général au Gouvernement de Bourgogne et grand Bailly d’épée, était mort en 1703.

    (Note de l’Auteur.)