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SOUVENIRS

vaniteuse au milieu d’un pareil étalage de splendeur. Elle était née dans la magnificence ; elle y avait vécu, elle y restait sans y prendre garde, et depuis la mort des deux seuls objets qu’elle eût aimés, le monde était devenu moins que rien pour elle, ce qui d’ailleurs ne l’empêchait en aucune façon de rester bienveillante et de se montrer parfaitement polie.

Elle vint au-devant de nous jusque dans.la salle de son dais, qui était remplie d’Écuyers, de Pages et autres gentilshommes à elle ; tout cela noblement vêtu de grand deuil ainsi que leur maîtresse, à raison dé la mort du Roi, car on comprend bien que le formulaire de la Duchesse de Berry n’avait pas franchi les grilles dorées et blasonnées de l’hôtel de Lesdiguières. Elle n’était servie dans son intérieur que par des Demoiselles dont elle avait bon nombre et qui, presque toutes, étaient d’anciennes pensionnaires de Saint-Cyr. Quand nous fûmes assises dans sa chambre, M. de Créquy me fit un petit signe des yeux pour un portrait de jeune homme qui me parut le plus beau du monde, et ce tableau, qui est le chef-d’œuvre de Mignard, était le seul qui fût dans l’appartement. Lorsque je reportai les yeux sur la Duchesse de Lesdiguières, elle me souriait avec un air de résignation douloureuse. Son cœur de mère avait été compris[1].

  1. C’était la copie de ce même portrait qui se trouvait au château de Conflans, et qui a fait éprouver à Mme de Staël un accès d’enthousiasme et de sensibilité singulière, ainsi qu’on le verra dans la suite de cet ouvrage. Ce tableau n’existe plus ; il a été détruit lorsqu’on est allé piller et saccager Conflans au mois de juillet 1830.
    (Note de l’Éditeur.)