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SOUVENIRS

tions et rajustement avaient quelque chose d’analogue à celui-ci.

J’avais conçu pour cette image et pour la personne qu’elle représentait, un sentiment de prédilection singulière entre toutes ses sœurs de la tombe ; et, lorsque j’étais sans témoins, je ne sortais jamais de la chapelle sans avoir été lui baiser la main. J’y mettais toutefois de la nuance et du scrupule avec une grande délicatesse de conscience ; car, lorsque je ne me croyais pas, à ce qu’il me semblait, en état de grâce, quoique assurément, et grâce à Dieu ! mes péchés de ce temps-là ne fussent que des fautes purement vénielles, je n’osais pas appliquer ma bouche sur la belle main de marbre, et je me bornais à baiser l’anneau de Madame, à l’exemple des sœurs converses et des clercs-minorés.

Un soir, je crus sentir qu’elle avait remué sous mes lèvres (la bague et non pas la main, Dieu merci !), je pensai qu’elle n’était pas assez solidement scellée, et pour m’en assurer, je la saisis par son chaton d’améthyste qui donnait prise, attendu que la pierre en était grande et saillante… ; la bague se détacha brusquement et me resta dans la main ! Jugez de ce que j’éprouvai lorsque j’entendis subitement un bruit de sandales qui se dirigeaient du même côté de la chapelle !…

C’était une vieille religieuse qui venait à pas lents, pour s’agenouiller et faire sa prière auprès du tombeau d’une autre Abbesse, qui était morte en odeur de sainteté, et qui s’appelait Madame d’Hautemer (grande maison normande qui n’existe plus) ; mais pour ne pas m’embarrasser dans une explication