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SOUVENIRS.

disait que c’était Monseigneur le Duc d’Orléans.) Les uns s’en impatientaient, les autres en avaient peur, et le plus grand nombre en étaient surpris et distraits au point d’en inquiéter les parens chrétiens et tous les ecclésiastiques ayant charge d’âmes. M. l’Archevêque en porta plainte au Cardinal de Fleury, et le Roi se crut obligé de lui défendre expressément d’aller s’impatroniser de la sorte au chevet des pauvres mourans pour les prêcher sans mission, avec une ardeur de zèle aussi peu profitable à la sanctification des âmes qu’à la santé corporelle.

Ce fut un grand coup d’échec qui décida M. le Duc d’Orléans à se retirer tout-à-fait du monde, et jusqu’à sa mort il en a tenu constamment rigueur à S. M. Il alla bientôt s’établir dans un vilain petit réduit qui touchait d’un côté à l’église de Saint-Étienne-du-Mont, et qui communiquait de l’autre à la vieille église de Sainte-Geneviève. Il se fit pratiquer des trouées aboutissantes à deux tribunes qu’il fit construire dans les deux églises ; il ne voulait plus sortir de là, sinon pour assister à son conseil, qu’il faisait tenir dans une salle basse de l’abbaye de Sainte-Geneviève ; il y passa dix-neuf années consécutives, et à l’époque de sa mort il y avait bien sept à huit ans qu’il n’avait remis les pieds chez le Roi, ni dans le Palais-Royal d’Orléans, ni dans aucune autre habitation de son apanage. On n’aurait pas imaginé ce qu’il y pouvait faire ; mais de temps à autre on voyait pointer une lettre édifiante en forme de relation niaise et boursouflée qui soulevait un coin du voile, et l’on apprenait que S. A. S. mettait habituellement de l’eau dans sa soupe sous prétexte de la refroidir, mais, en