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SOUVENIRS.

feu Duc d’Orléans ?… Que voulez-vous dire avec ce mot feu ? Ces deux Princes ne sont point morts, Monsieur ! Il n’y a de mort en eux que leur enveloppe charnelle ; leur âme n’est point morte et ne mourra jamais ! Prenez garde à ce que vous direz contre l’immortalité de l’âme en ma présence, et sachez bien que si je vous entends blasphémer de la sorte encore une autre fois, je ne me contenterai pas de vous éloigner de mon conseil, mais j’irai vous dénoncer moi-même au Procureur-Général, à M. le Cardinal, au Roi, s’il le faut, au Roi lui-même !

Il est assez curieux que cette étrange manie de M. le Duc d’Orléans se soit propagée sur une de ses nièces, Mademoiselle de Sens, à qui l’on n’osait jamais remettre ses lettres et billets, parce qu’il y avait toujours à craindre qu’ils ne lui apprissent la mort de quelqu’un, n’importe qui. Aussi brûlait-on journellement ses lettres et sans les ouvrir, à moins quelles ne lui fussent adressées de par le Roi, ce qui n’arrivait pas souvent. On n’y faisait chez elle aucune sorte d’exception, pas-même pour les billets de M. le Duc de Bourbon, son frère, lequel en témoignait souvent de l’impatience.

Mademoiselle de Sens avait eu pourtant la précaution d’ordonner qu’on lui présentât certaines lettres où l’on verrait des poissons sur le cachet. C’était dans la flatteuse espérance de recevoir quelques mots bienveillans de Madame de Pompadour, dont les armes parlantes étaient, comme on sait, trois poissons d’or en champ d’azur ; mais cette favorite était morte depuis long-temps avant qu’on eût osé l’annoncer à la Princesse.