Page:Créquy - Souvenirs, tome 5.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
120
SOUVENIRS

son mari, sujet d’un Prince de Holstein, n’aurait sûrement pas autorisé par son exemple.

Avec son goût pour l’emphase et ses préoccupations héréditaires en fait d’aristocratie, Mme de Staël-Holstein n’a pas le moindre goût pour la magnificence. Il paraît qu’elle est restée bourgeoise de Genève et fille de banquier pour tout ce qui tient à l’argent. Ses ennemis l’accusent de ladrerie, et ses amis sont obligés d’avouer qu’on meurt de faim chez elle. On a beaucoup parlé d’une scène avec son ami Benjamin Constant, devant sept ou huit personnes, à propos de vingt-deux mille francs qu’il ne pouvait ou ne voulait pas lui payer. — Vous avez les plus beaux yeux possibles et des mains superbes ! lui disait-il pour l’apaiser. — C’est vrai, lui répondit-elle à moitié vaincue, mais j’ai eu le plaisir de m’entendre dire ces choses là pour rien.

Je n’ai jamais rencontré Mme de Staël que deux fois dans ma vie, et c’était, premièrement, à l’hôtel de Boufflers, où j’arrive un soir au milieu d’une belle conservation de Mademoiselle Necker avec M. Bailly. Elle avait commencé par dire qu’elle ne pouvait estimer ni supporter l’immense majorité, la généralité, la presque totalité des hommes, attendu qu’ils étaient sans ressort, sans enthousiasme de l’humanité, sans énergie dans les affinités électives ; enfin, parce qu’ils n’avaient pas de cœur, qu’ils n’avaient rien du tout dans la région du cœur, à moins que ce ne fût une pierre silexile, un caillou roulé, un pavé fangeux !… Ensuite elle se mit à parler à Bailly de son livre sur l’Atlantide, et puis du nouveau traité sur le Monde Primitif, et de l’Histoire