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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

figure était un véritable chagrin pour moi. J’en éprouvais une espèce d’attendrissement pénible, ainsi qu’une jeune fille mélancolique ou romanesque qui verrait un admirable garçon pour la première et la dernière fois de sa vie, sans savoir son nom ? sans avoir eu seulement la consolation d’en avoir été remarquée !… On vint m’annoncer M. le Duc de Penthièvre : il acheta le grand tableau sans en demander le prix (Greuze était persuadé, bien justement, qu’il n’aurait qu’à s’en féliciter) ; mais S. A. S. le pria de lui faire une copie de ce tableau que j’aimais, et ce fut de si bonne grâce, avec tant de persistance et de courtoisie, que ce même tableau m’arriva tout justement pour la veille de ma fête, c’est-à-dire au bout de quinze jours. Je remerciai l’anonyme obligeant qui me faisait une galanterie de cette image archangélique, et je la fis d’abord exposer à l’adoration de mes fidèles, à côté de moi, dans mon second salon.

Deux ou trois jours après, j’écrivais le matin dans mon oratoire, on vient m’annoncer une visite, et j’entends que c’était M. de Pombal[1]. Je réponds qu’on ait à le prier de m’attendre, et j’arrive au bout d’un quart d’heure, sans avoir sonné pour qu’on vînt m’ouvrir les portes, attendu que je n’avais que ma chambre à traverser. J’ai toujours été de cette force-là ! (La Reine m’a conté que Mme de

  1. Dom Pedro-Jean-Sébastien de Silva-Tavora, Ménézès et Castro, Marquis de Pombal et d’Oruga. Il avait été accrédité comme ambassadeur extraordinaire à Paris par le Roi de Portugal, Dom Joseph de Bragance, en 1759.