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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

ce pauvre jeune prince, je l’aimais comme s’il avait été votre frère ! Il voulut rester avec moi toute la journée ; je ne reçus personne au monde, et voici la confidence qu’il me fit.

« Vous savez que dans mon enfance et pendant mes promenades avec mon gouverneur, je m’échappais souvent dans la campagne. Quand je me sentais en liberté, mon cœur en tressaillait de joie ! J’allais me cacher dans nos belles forêts du Vexin français[1] ; j’allais m’asseoir au bord d’un ruisseau pour y rêver ; j’entrais dans une chaumière pour y manger du pain bis avec du lait ; je m’arrêtais à causer avec une vieille paysanne, ou bien je suivais le convoi d’un pauvre manouvrier, derrière les parens du défunt, jusqu’au cimetière de leur village. Aussitôt qu’on me regardait avec un air étonné, je m’enfuyais.

« J’entendis que mon père disait un jour à l’Abbé de Florian : — Laissez-le donc tranquille ; si nous le tourmentons, il s’en ira peut-être si loin, que nous aurons peine à le retrouver ? Il est agité par un esprit de mouvement et de liberté dont il ne sait que faire et dont il ne fait pourtant pas mauvais usage ; et par exemple, hier, savez-vous ce qu’il est allé faire en s’échappant comme un chevreuil à travers les bois et les rochers, jusqu’à deux lieues d’ici ? il est allé dire ses prières du soir avec l’ermite de la Chesnaye. Surveillez-le bien,

  1. Le Prince de Lamballe avait passé son enfance et sa première jeunesse au château d’Annet, dont son père était possesseur à titre de Prince d’Annet et Comte de Vexin. (Note de l’Aut.)