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SOUVENIRS DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

mêmes paroles sur le passage du Roi, et ceci dans la galerie de Versailles : il se trouva que c’était un neveu du philosophe Thiriot, l’ancien commissionnaire et l’espion de Voltaire. M. de la Suze le fit arrêter ; et le Roi, qui le vit passer dans la Gour de Marbre, escorté par des gardes de sa Porte, envoya demander ce que ce pouvait être. — Allons donc ! répondit Louis XVI en éclatant de rire ; je ne veux pas qu’on emprisonne un pareil imbécile : faites-le seulement conduire en dehors de la grille du château, et qu’on lui dise que je vais boire un verre de limonade à sa santé. Voyez donc ce tyran, farouche héritier des Clothaire et des Childebert ! Hélas ! hélas ! ce n’est pourtant pas sans raison que les Rois sont pourvus de la main de la justice et qu’ils sont armés du glaive de Dieu !… Ô le meilleur des hommes et des Princes ! Ô saint Roi ! nous verrons bientôt les déplorables effets de votre insigne clémence ; vous recueillerez bientôt les fruits douloureux de votre extrême bonté !

Monsieur n’était pas celui des Fils de France que j’aimasse le mieux : il annonçait plus de faculté mémorative que d’intelligence naturelle, plus d’esprit que de jugement et plus de finesse que de véritable esprit. Il était plus susceptible d’engouement que d’attachement solide ; il y avait dans ses airs de dignité quelque chose de factice, et dans son faux air de sérénité je ne sais quoi qui ressemblait à de la dissimulation ; il aimait à parler, et sur toute chose, mais il aimait surtout à conter des gaudrioles, opération dont il se tirait sans précautions oratoires et sans embarras, parce qu’il ne sentait rien. C’était