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SOUVENIRS

sur le visage d’un homme : on n’y pouvait toucher qu’avec la main ; c’était une obligation de charité ; c’était une affaire de respect humain ; le contraire aurait été considéré comme un crime de lèse-majesté sacramentelle, une sorte de sacrilége anabaptiste ; enfin, c’était la règle établie. Mais il y avait une chose dont l’offensé Moncrif, historien des chats, ne pouvait s’empêcher de rire, et c’était que ce plat et méchant faiseur d’épigrammes lui criait encore en s’enfuyant : — Patte de velours, Minet ; patte de velours !

Moncrif avait toujours eu de la piété, de la dignité dans les habitudes et des mœurs irréprochables….

— Mais on m’a conté hier une belle histoire de M. de Moncrif, disait un jour Voltaire, après souper, chez sa bonne amie Mme Grimod d’Orsay. Il est allé jeudi dernier à l’Opéra, derrière le rideau, après la dernière pièce, et lorsqu’il a pensé que tout le monde devait être sorti de la salle, alors cet honnête dévot s’est approché d’un groupe de nymphes en leur disant discrètement entre haut et bas : « Si quelqu’une de ces demoiselles était tentée de souper avec un petit vieillard bien propre, il y aurait quatre-vingt-douze marches à monter, un petit souper assez bon et dix louis à gagner. ». C’est la jolie petite Mlle Vigu, continua l’honnête Voltaire, qui m’a dit ceci hier au soir. Elle connaît parfaitement bien ce grand poète, et d’autant mieux qu’elle a déjà grimpé cinq ou six fois dans le haut de son pavillon de Flore, au sommet de son Olympe, ou son Hélicon, si vous l’aimez mieux…