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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

— Vous verrez, lui dis-je, que pour décider ce brave homme à se laisser guillotiner, on lui aura promis une rente viagère ?

— Oh ! non, répliqua notre émigré, ce sera plutôt quelque bonne pension sur la gabelle ou sur les parties casuelles après la rentrée de nos princes ; et ceci vous prouvera que mon nouvelliste était un fin matois.

Il me dit aussi qu’il était allé quelques jours auparavant dans une tribune de la salle du Corps-Législatif, où l’on avait déposé le corps du général Duphot qui avait été tué dans les rues de Rome. Le cercueil était élevé sur une estrade au milieu de la salle toute pavoisée de drapeaux tricolores ; on fit des panégyriques interminables à la gloire du défunt, et tous les législateurs défilèrent à tour de rôle en étendant la main droite sur le cercueil du général Duphot, et en disant, chacun avec l’accent de sa province : il sera vengé !

— Je n’y comprends rien, disait une vieille dame qui se trouvait dans la tribune, et j’entends : il sera mangé !

— Allons donc, citoyenne, lui répondit un jeune officier républicain, manger le corps d’un général qui est mort en Italie il y a plus de trois mois ! Comment peux-tu supposer que des représentans du peuple soient capables d’une pareille cannibalerie, une saloperie ?…

— Monsieur ! lui dit notre émigré avec un air et d’un ton foudroyant, ces gens-là sont capables de tout !

Il avait l’air de s’applaudir de cette belle ré-