Page:Créquy - Souvenirs, tome 7.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
200
SOUVENIRS DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

froidement et sèchement, que, si la nation confisquait mes biens, ce ne pourrait jamais être au profit d’un imposteur aussi facile à démasquer que le Citoyen Bourbon-Montmorency-Créquy, autrement dit Nicolas Bézuchet, leur protégé. Je ne leur adressai pas une parole qui pût avoir l’air d’une sollicitation ; mais cette fausse démarche ne me contraria pourtant pas autant qu’on devrait l’imaginer, car je les trouvai si ridiculement déraisonnables, que leur chute me parut infaillible, indubitable et nécessairement prochaine. Je me délectai malicieusement dans la contemplation de leur sotte arrogance, de leur infirmité, de leur insuffisance à gouverner un pays quelconque, et surtout un pays tel que la France ! Nous nous quittâmes avec l’air d’un mécontentement réciproque. — Je te salue, Citoyenne, me dit le ministre, avec une maussaderie pitoyable, et sans daigner seulement faire semblant de m’accompagner jusqu’à la porte de son cabinet que je fus obligée d’ouvrir toute seule. Sa femme avait évité de me tutoyer, mais elle n’aurait eu garde de compromettre sa dignité personnelle et la dignité de la république française en reconduisant une fanatique (c’était le principal grief contre moi). Elle se leva majestueusement pour me faire un geste de civilité romaine, avec une espèce de mouvement de la tête et des paupières, en guise de salut.

Quatre mois après, nous étions prisonnières ensemble à Sainte-Pélagie.

Retournons en arrière, en vertu du privilége que je me suis réservée d’empiéter sur les temps futurs, et de rétrograder ad libitum.