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SOUVENIRS

— C’est précisément à côté de Madame la Comtesse de Beauharnois repris-je en l’interrompant, que vous êtes venu débiter vos confidences, ayez la bonté de passer votre chemin.

Je n’ai jamais vu colère semblable à celle de Mme de Beauharnois et c’était pourtant la chose du monde la plus facile à prévoir et la plus inévitable pour elle. C’était justement là ce que devait lui rapporter t’ihsertion de son nom dans les Almanachs des Muses et les Chansonniers des Grâces !

Avez-vous jamais entendu parler de Cauchemar ? C’est qu’il y avait alors par le monde une appréhension cruelle avec une fameuse histoire de cauchemar en circulation. Il y avait deux ou trois ans que la Duchesse de Devonshire éprouvait toujours le même cauchemar : c’était l’apparition d’un horribte singe qui sortait brusquement de sous terre, et qui venait l’arracher de son lit aussitôt qu’elle avait fermé les yeux. Avant de lâcher son bras droit, car c’était toujours par là qu’il la saisissait, et avant de l’étendre sur le dos au milieu de la chambre, il avait pris l’habitude de lui pousser avec une patte de son train de derrière, un coussin de pied sous les reins ; et quand elle était dans cette posture, il sautait sur sa poitrine, il y restait immobile et accroupi en étalant ses vilaines mains sur ses deux bajoues et lui mirant le fond des yeux jusqu’à son réveil. Voilà comme elle passait toutes ses nuits cette malheureuse Anglaise. Elle, en était tombée dans un état de langueur et de consomption pitoyable : aucun médecin ne pouvait la débarrasser de ce cauchemar,