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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

mon interrogatoire et recevoir ma déposition, et comme je m’étais rendue à ce qu’on appelait son cabinet long-temps à l’avance, on me fit entrer, en attendant son arrivée, dans une grande salle basse, où je me trouvai livrée toute seule à mes observations et réflexions.

Il y avait à l’entour de ladite salle des paniers d’osier de forme carrée et pareils à ceux où les femmes de chambre mettent le bois à brûler qui est à leur usage : j’eus la curiosité de soulever le couvercle d’un de ces paniers, et je vis qu’il était rempli de poignées de cheveux de toute sorte de couleurs. La femme du concierge me dit ensuite que c’était là qu’on faisait la toilette des condamnés, qu’on ne reconduisait plus en prison pour en finir plus vite, et que c’était elle qui profitait de leurs dépouilles qu’elle vendait à son profit. Jugez combien votre pauvre grand’mère avait le cœur oppressé de se trouver là.

Mon interrogatoire ne fut ni long ni difficile ; le substitut n’avait pas reçu les pièces qui concernaient cette chouannerie ; il ne se souvenait seulement pas de l’assignation qu’il m’avait fait envoyer, et je n’ai jamais entendu reparler de cette affaire-là ; c’était un blondin qui ne paraissait pas avoir plus de dix-huit ans ; il avait la figure d’une jeune fille avec un bonnet rouge, une carmagnole de peau de chèvre et de gros sabot.

Dupont me dit en nous en allant, que pendant que j’étais à jouer aux propos interrompus avec mon imbécile de substitut, l’Abbé de Fénélon et le Père Guillou venaient d’être acquittés par le tribunal