Page:Créquy - Souvenirs, tome 9.djvu/159

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ne se peut rien désirer davantage ; mais pour moy, Sire, j’advoue que pour êre pleinement content, il me reste une chose à souhaiter. — Dites laquelle, me répondict le Roy. — L’oserai-je dire, lui repartis-je. — Oui, me répliqua Sa Majesté. – C’est, lui dis-je alors, que Vostre Majesté me fasse l’honneur de m’aimer un peu. » En achevant ces paroles, je luy voulus embrasser les genoulx, mais ce grand Prince me fist l’honneur de m’embrasser d’une maniesre quy devoit achever de me combler de tendresse et d’obligation.

Je pris ensuyte congé du Roy quy voulut bien me dire alors « Je prétends que ce ne soit pas la derniesre foix que je vous verray. » Et sur ce que je lui respondis qu’il ne me restoit qu’à prier Dieu pour elle dans ma solitude, Sa Majesté me dict : « Cela ne dépendra plus de vostre meschant vouloyr, et si vous ne me venez visiter quelque foix, je pourrai bien vous envoyer quérir d’autorité. »

Il fust dict aussy plusieurs autres choses, dans cette longue entrevue, que je ne saurois vous rapporter, attendu que j’étois si attentif à ce que Sa Majesté me faisoit l’honneur de me dire, d’une maniesre qui me touchoit également le cœur et l’esprit, et que j’étois également si attentif à lui respondre, que ma memoyre en étoit comme suspendue. Monsieur de Bartillat estoit lui-mesme si touché de ce qu’il entendoit dire à Sa Majesté, qu’il advoue, malgré sa préoccupation, n’en avoir pu retenir la plus grande partie.

Apres estre sorti de chez le Roy, nous allasmes, Monsieur de Bartillat et moy, chez Monseigneur le Dauphin, qui me reçut favorablement. Quand la Reyne fut habillée, je lui allai faire ma révérence, et Sa Majesté me fit l’honneur de me parler avec une bonté nompareille.

Le Roy, après avoir tenu conseil, allant à la messe avec cette grande foule de personnes de qualité qui l’accompagnent toujours, comme je parlois à Monsieur Le Tellier[1], proche de la chapelle, Sa Majesté me fit l’honneur de me démesler dans cette foule, en me faisant un signe de teste et des yeux, avec un souryre infiniment doux.

  1. Michel Le Tellier, Chancelier de France et père du Marquis de Louvois.