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PIÈCES JUSTIFICATIVES.

et par mes moyens personnels. Impatient de l’obtenir ou plutôt jaloux de noyer dans votre sang le germe de nouvelles séditions, je vous ai d’abord assez brutalement menacé de mon glaive ; peut-être eût-il été plus constitutionnel de ne faire briller à vos yeux que celui de la loi ; mais celui-ci est si émoussé ! et moi j’ai tant de prédilection pour les moyens expéditifs, qu’à l’imitation du fameux aristocrate macédonien, j’aimais mieux trancher le nœud gordien que de perdre mon temps à le démêler.

Cependant, aussitôt que je m’aperçus que vous n’aviez pas un goût bien décidé pour ces sortes de brusqueries, dont l’illégalité renforçait vos scrupules, je me fis un devoir de vous déférer l’opinion d’un combat judiciaire. Ce n’était pas à moi de prévoir que vous trouveriez aussi des objections contre ce genre de duel, le plus favorable en général à l’innocence persécutée par la calomnie. Voilà pourtant qu’après quinze jours d’incertitudes et de délibérations, vous finissez par éluder mon alternative.

Que vous ayez une certaine répugnance à mettre votre innocence à la pointe d’une épée ; qu’il ne vous semble pas prudent de faire dépendre votre honneur civique de la direction capricieuse d’un pistolet, cela se conçoit, parce que, indépendamment de l’irrégularité de ces sortes de décisions, c’est que, comme vous l’observez très judicieusement, vous ne tueriez pas avec moi tous ces vilains soupçons qui vous accusent, et qu’il vous importe que je vive, pour être un jour l’instrument de votre justification. Voilà des raisons que tout le monde sait apprécier ; c’est d’une sagesse qui ne comporte pas de réplique mais vous convenez que ma proposition subsidiaire est honnête, régulière, équitable, généreuse…. Comment se fait-il donc que, parée de tous ces avantages, elle n’ait encore pour vous aucun attrait ? En vérité, c’est pure malice à vous de laisser votre patriotisme encroûté d’un vernis tout-à-fait déplaisant, quand je vous procure une si belle occasion de le faire resplendir dans toute sa pureté.

Vous me promettez bien, il est vrai, de descendre dans l’arène avec moi aussitôt que MM. les grand-jurés seront institués juges du camp ; c’est-à-dire qu’il n’y a que des juges tout neufs qui puissent avoir des yeux assez perçans pour discerner votre innocence. Mais n’est-ce pas aussi beaucoup trop innocent que d’es-