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L’ANTITÊTE


Les premières pages de l’Antitête furent écrites en 1916, les dernières en 1932.

C’est donc sur un chemin de seize années que nous pouvons suivre pas à pas, ou plutôt foulée à foulée, un homme que nul prétexte formel ne distrait, nulle barrière anecdotique n’arrête. Il ne se contente point de laisser, dans le sol d’un temps, ses empreintes. La continuité multiple de sa course suscite des buissons d’actions et de réactions. Et, de ces buissons, jaillissent des lianes de mercure, des liserons de vif-argent qui s’en iront palpiter de l’un à l’autre pôle car la prose du poète n’est pas un simple moyen d’expression. Ligne sismographique d’une pensée toujours en marche, comme l’ombre de l’homme tient à son corps, de même l’écriture, sur la page, lui sert de route, prolonge un esprit assez spontanément dialectique pour avoir métamorphosé en tremplin chacune des défenses que l’imagination trouve toujours opposées à son élan. Au moindre mot, d’ailleurs, la dissociation initiale du langage ouvrit une porte imprévue. On n’a pas oublié que c’est à Zurich, en 1916, que Tzara trouva le nom pour désigner ce qui allait être le Mouvement Dada. Très vite, la double syllabe lui sembla menacée d’intentions littéraires. Il la secoua. Les consonnes en tombèrent. Dada. A. a, Voici né Monsieur Aa l’antiphilosophe, Monsieur Aa, le contraire des métaphysiciens professionnels qui prétendent aller de a jusqu’à z, offrent l’alpha et l’oméga, et d’un système de confection, de convention, vêtent, de la tête aux pieds, l’hypocrisie contemporaine.