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ses travaux ? Rêvons, mais à la condition de croire sérieusement en notre rêve, d’examiner attentivement la vie réelle, de confronter nos observations avec notre rêve, de réaliser scrupuleusement notre fantaisie. Il faut rêver. Et cette sorte de rêve est malheureusement trop rare dans notre mouvement par le fait de ceux-là mêmes qui s’enorgueillissent le plus de leur bon sens et de leur exacte approximation des choses concrètes.

Quel progrès dans la connaissance de lui-même pourrait donc accomplir l’homme qui s’en laisse imposer par certaines frontières cravatées d’ironie, hérissées de bornes en forme de notions psychologiques aussi obscurantines, aussi abusivement restrictives que celles, par exemple, de la normale ? Parmi les moyens dont dispose l’intelligence pour venir à bout des remparts de crasse opposés à son progrès, il n’en est pas de plus éclatant que le cynisme, à condition, toutefois, de n’en point faire une fin en soi, de ne point le statufier avec une couronne nouménale sur le sanglant démenti qui lui sert de tête.

En période pré-révolutionnaire, les intellectuels clairvoyants (au XVIIIe siècle, les Encyclopédistes et Laclos, Sade — au XXe les Surréalistes), d’abord et toujours, s’attaquent aux secrets qu’interdisent les soi-disant autorités morales, artistiques, littéraires et autres officiellement au service des profiteurs. Mais ces flics du mot, de la couleur qui, par leurs féroces calembredaines veulent justifier les exploiteurs décidés à ne plus reculer devant aucun crime pour la conservation de leurs privilèges, voici que, déjà, ils s’attirent en riposte d’implacables retours de flamme. Des œuvres incendiaires annoncent une prochaine terreur rouge. Un tribunal de salut public, avant la lettre, se charge de réviser les valeurs et d’établir les responsabilités culturelles. Ce qui nie un monde caduc n’en a que plus de force pour la plus jeune affirmation. Un art catégoriquement révolutionnaire prononce son réquisitoire avec l’élan créateur d’une colère qui veut passer du règne de la nécessité