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V
PRÉFACE

et s’assouplit par la délicatesse et la variété des expériences. Le goût s’élargit sans s’affaiblir. La raison ne prend plus pour sottise tout ce qui dépasse l’étroit horizon des préjugés régnants, mais elle reste inflexible à l’égard de ce qui n’est pas raisonnable. Non que le goût et la raison de l’historien, même vivement émus, s’expriment volontiers par des jugements formels et tranchants ; ces jugements-là lui semblent toujours peu proportionnés à la nature de l’esprit humain ; mais l’accent même de sa voix le trahit, et il faudrait qu’il fût bien gauche pour que sa discrétion donnât le change sur son sentiment.

II

L’antiquité n’a pas connu l’espèce d’histoire littéraire que nous venons d’essayer de décrire. Ce n’est pas qu’elle n’ait produit, à partir surtout de la fondation d’Alexandrie, nombre de travaux fort savants sur ses poètes et ses écrivains de tout genre. Mais c’étaient invariablement ou des recherches de pure érudition (l’École Péripatéticienne en avait déjà donné l’exemple) ou des ouvrages de critique dogmatique écrits par des grammairiens et par des rhéteurs pour l’enseignement de leurs disciples. L’esprit historique tel que nous le concevons n’y paraissait que dans la mesure où il ne peut pas ne pas paraître chaque fois qu’un homme intelligent parle d’un autre homme qui a écrit antérieurement. Les noms de