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GRANDEUR IDEALE 225

impétueuse d'Agamemnoii qui tout à l'heure renver- sait tout. Et lorsque blessés à leur tour, ils s'éloi- gnent du champ de bataille, nos regards et nos cœurs se portent d'eux-mêmes vers Ajax, qui résiste seul en reculant pas à pas, et en qui se concentrent toute la force et toute l'espérance des Achéens. L'unité de ce vaste récit, comme sa variété et son mouvement, proviennent donc des qualités que nous signalions tout à l'heure, de la clarté d'une imagination puis- sante et de sa hardiesse à simplifier.

La grandeur est, avec la clarté et le mouvement, le trait le plus saillant du récit homérique. Elle ré- sulte surtout de ce que le poète a constamment devant les yeux un idéal bien supérieur à la réalité. A plusieurs reprises, il est question dans V Iliade de la force merveilleuse des héros: ils soulèvent sans effort des pierres que plusieurs hommes d'au- jourd'hui, nous dit le narrateur, auraient peine à remuer. Expression naïve d'une idée qui est par- tout présente. L'humanité dépeinte dans le poème est une humanité idéale, que le poète et ses contem- porains considéraient, il est vrai, comme réelle dans le passé, mais non dans le présent. On imaginait pour elle des richesses merveilleuses, des arts tout puissants; les héros sont couverts d'or, leurs armes sont ciselées avec une perfection dont aucun artiste du temps n'était assurément capable. C'est là le seul genre d'exagération que se permette cette poésie si vraie. D'ailleurs il faut remarquer que dans l'exa- gération même, elle se garde naturellement de dé- passer une certaine mesure qui lui est indiquée par un sens délicat de la vraisemblance. Si les héros de VIliade sont plus robustes et plus légers que les hommes les plus lestes et les plus vigoureux, cette supériorité n'est pas telle pourtant que notre

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